Mardi 19 février 2002

22h31. Je suis fatiguée... Ce matin, quand le réveil a sonné (à une heure pourtant on ne peut plus raisonnable, huit heures, car Compagnon est en vacances), j'ai mis de longues secondes à me remémorer quelques informations essentielles : pour qui le réveil sonnait-il, quelle heure était-il, quel jour était-on, devais-je me dépêcher...? Pendant quelques instants, mon cerveau est demeuré complètement vide, je ne me souvenais plus de rien. Est-ce la fatigue qui est en cause ? Cela m'arrive très rarement, je me lève plutôt facilement, je n'aime pas traîner. - Je garde, sur ce point uniquement, un souvenir nostalgique de mes premiers mois à Paris, dans mon studio solitaire. Comme je commençais assez tard tous les matins et que je n'avais aucune envie, le soir, de veiller en tête-à-tête avec moi-même (je n'avais pas Internet à l'époque), je dormais neuf ou dix heures toutes les nuits, et je n'étais jamais fatiguée. Toujours en pleine forme, jamais de cernes. Cette période a pris fin quand j'ai rencontré Compagnon : nous nous couchons bien plus tard, et la combinaison de nos horaires parfois très différents réduit nos heures de sommeil.

En ce moment, Compagnon est chez Latin Lover, pour "parler de leurs vies". Nous nous sommes un peu disputés tout à l'heure, puis nous avons discuté de points importants, mais je tombais tellement de sommeil que la discussion n'a pas franchement abouti. Il s'agissait d'un sujet récurrent, à savoir : nos aspirations parfois différentes posent-elles un problème de couple majeur ? Pour schématiser, je dis que non, lui que oui. C'est vrai que nous aimons souvent des choses contraires, notamment quant il est question des vacances : pour moi, l'idéal serait de passer une ou deux semaines à l'étranger (dans un pays du Nord, ou du moins un pays où il ne fait pas trop chaud), puis de lézarder pendant un bon mois dans notre maison de famille, sur la côte Atlantique, entre lecture, baignades et sorties. Compagnon, lui, voudrait que nous soyons seuls (ce qu'exclut la maison de famille, comme son nom l'indique), et plutôt dans le sud. Ou à la montagne. Or, je déteste la Côte d'Azur, toute température excédant 23° m'insupporte, et je me sens très mal en montagne : je suis oppressée par ces hauteurs, je redoute les violents orages, la mer me manque, j'ai le mal du plat pays... Mais à mes yeux, rien d'insoluble, je suis sûre qu'on peut trouver des solutions intermédiaires (par exemple, si l'on en a les moyens, on part une semaine à l'étranger ; on passe deux ou trois semaines dans la fameuse maison de famille ; et il passe quelques temps dans l'appartement que possèdent sur la Côte d'Azur les parents de Latin Lover). Pour lui, en revanche, c'est plus grave. Comme d'habitude, je ne réfléchis pas trop, je "ne me prends pas la tête", pour employer une expression que j'abhorre absolument, je laisse venir, alors que les autres se posent à n'en plus finir des problèmes, et Compagnon le premier. C'est curieux comme, pour quelqu'un que les autres tendent à considérer comme un être de pensée essentiellement, je ne m'interroge pas. La vie m'apparaît comme une évidence, je la laisse s'écouler sans jamais me demander si mes choix sont valables. Ou sans me le demander très sérieusement. C'est certainement un tort... Mais je n'ai pas envie de me réveiller de cette douce léthargie. - Un peu plus tard. Je viens de lire le journal d'Ultraorange, qui m'a peinée, m'a donné envie de lui écrire, mais sans que je trouve les mots, et m'a émue, parce que tout d'un coup elle a fait cette révélation si importante, qu'elle regrettera peut-être... J'ai aussi rendu visite à Ophélia, et j'ai été frappée par cette phrase : "dans les livres les jeunes filles ne se posaient pas tant de questions". Comme moi... Pourtant, je n'ai rien d'une jeune fille de livre. Et je sais que dorment au fond de moi des choses qui mériteraient que je me penche dessus. Mais je ne le fais pas... (au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, "mais" est mon mot préféré). - J'enchaîne sur cette parenthèse qui me fait penser à autre chose, concernant mon écriture : elle ne me plaît pas, en ce moment. Dans ce journal, mais pas seulement, dans mes copies aussi, j'ai l'impression que j'écris moins bien ; peut-être que je ne fais pas l'effort de chercher le mot juste, la bonne tournure, mais ce n'est pas seulement ça. Je suis convaincue qu'avant mon écriture était plus fluide, plus élégante. J'ai peut-être un peu trop perdu l'habitude d'écrire, je ne sais pas, avec les longues vacances d'été, les mois sans lettres, sans journal, sans rien, et les rares devoirs à rédiger, les examens mis à part. Mais ce n'est pas quelque chose qui s'oublie comme ça, si ? Ça devrait revenir...

Plus tard encore. J'ai lu la rubrique intitulée "il y a longtemps" par Ultraorange. Quelle drôle d'impression j'ai ressentie à la lecture de ces textes... D'abord, j'ai été surprise, parce que je ne l'imaginais pas ainsi. J'ai été durement touchée, aussi, par ce qu'elle décrit. Certains passages sont si atroces, et en même temps racontés dans une langue très sobre, très distanciée, ça produit une drôle d'impression ; ça m'a rappelé - qu'Ultraorange ne se formalise pas de cette comparaison si elle vient à lire ces lignes - Moi, Christiane F. Et ça m'a aussi, naturellement, replongée dans les souvenirs de mes années de lycée. Rien d'aussi excessif, mais me remémorer cette période m'a mieux fait comprendre ce qu'elle a écrit. L'adolescence est une période si bizarre... Je ne suis pas du tout autodestructrice, vraiment pas du tout (je m'aime trop pour ça, serais-je tentée de dire), mais je n'ai pas non plus de grandes barrières mentales. Comment expliquer ça ? Disons qu'il m'est, qu'il m'a été, souvent difficile de ne pas suivre mes impulsions du moment sans réfléchir aux conséquences. Comme beaucoup de gens, mais pas ceux à qui par ailleurs je ressemble le plus. Je n'arrive pas à m'expliquer... J'écris des phrases que j'efface. Pas grave, j'aurai le temps d'y revenir dans la suite de ce journal.

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