Vendredi 8 mars 2002
mis en ligne lundi 11 mars


18h45, dans le train, [sur un petit carnet à carreaux]. Enfin, je trouve le temps d'écrire... Ces derniers jours, privée de cette possibilité - manque de temps, jamais seule à la maison (je peux écrire en présence de Compagnon, mais je préfère l'éviter) - j'ai souvent écrit mentalement, et je ne pense pas pouvoir tout retranscrire correctement... Tant pis pour ce que j'oublierai. - Commençons par le sac que vous devriez voir là-haut [je voulais le prendre en photo, mais je viens de réaliser que Compagnon avait embarqué l'appareil pendant son séjour loin de Paris] ; il n'a rien de particulier sinon qu'il a été fait avec un vieux jean (ce détail paraît authentique), mais en fait c'est tout un symbole. Mardi soir, la soeur de Compagnon est passée chez nous (nous ne la voyons pour ainsi dire jamais, alors qu'elle habite à deux stations de métro) pour s'inscrire par Internet à un concours de la fonction publique, et pour refaire son CV (elle a bien un ordinateur, mais c'est en la matière la personne la plus incompétente que je connaisse). Elle arborait un sac très semblable à celui-ci, sur lequel je me suis extasiée ; elle m'a indiqué où elle l'avait trouvé, près de Beaubourg. Mais ensuite, Compagnon m'a dit qu'il détestait ce sac et qu'il serait très déçu que j'en achète un. Je me suis sentie... brimée, et a découlé une petite déprime passagère, dont le thème général était la peur de vieillir. Je sais bien que c'est un sentiment passablement ridicule à vingt ans (le train avance incroyablement lentement... Je ne suis pas arrivée...), mais je me disais que dans quelques années je ne pourrais plus porter de vêtements ni d'accessoires un peu bohèmes, comme ce sac, que déjà mon style était trop adulte et ne correspondait pas à ma personnalité, que la vie me filait entre les doigts... Ça m'a rappelé un autre incident : il y a quelques jours, nous avons retrouvé dans notre bar E. et un couple d'amis à lui, que nous ne connaissions pas. La fille nous a dit être en première année de médecine, et j'ai pensé : bon, si elle n'a pas redoublé, elle a le même âge que moi. Mais j'ai brutalement réalisé que pas du tout, dans ce cas elle avait deux ans de moins, je ne suis plus en première année mais en licence. Ça m'a fait un choc terrible de réaliser que mes études, la période que l'on dit être la plus heureuse de la vie, passaient aussi vite. Je déprimais donc mardi soir, les vêtements n'étant qu'un prétexte pour quelque chose plus grave et de plus sombre... Ça s'est calmé, mais je me dis très souvent que je ne profite pas assez de la vie, que je ne fais pas assez de choses différentes. Mais en même temps je suis heureuse comme ça...  - Mercredi, après les cours, j'ai traîné Belinde et Elvira à Beaubourg pour m'acheter le fameux sac, à la fois la satisfaction d'une envie (je dirais presque d'un besoin, ce sac était fait pour moi) et l'affirmation de mon indépendance vis-à-vis de Compagnon. Le sac est actuellement sur mes genoux, rempli de tout ce dont je peux avoir besoin durant le trajet qui sépare mon appartement de celui de mes parents (je suis un escargot, j'ai besoin de trimballer ma maison avec moi...) : un parapluie, mon portefeuille, mon porte-monnaie, mon chéquier, mon téléphone portable, un livre (Un Amour de Swann), un tricot en cours (mais oui, je tricote, j'en reparlerai un de ces jours), de quoi écrire donc, un produit pour se laver les mains sans eau et une paire de gants. Mon sac fascine mon entourage, pas celui-ci mais mes sacs en général, dans lesquels je fais rentrer un nombre ahurissant de choses. Celui-ci est petit, et pourtant hier il contenait également un grand bloc de papier ligné, le Libé du jour, une photocopie de la Lettre XLVII de Sénèque à Lucilius, deux sandwichs jambon-cornichons (depuis le début de la semaine, je les confectionne moi-même pour économiser quatre ou cinq euros tous les midis), une banane, une bouteille d'eau et une canette d'Ice Tea Light. Il paraît que trimballer une telle quantité de choses en permanence est caractéristique des filles qui ont été pensionnaires pendant leurs années de lycée, mais ce n'est pas mon cas. C'est simplement que j'aime tout avoir à portée de main, pour ne pas être prise au dépourvu. Le parapluie, par exemple, il est assez lourd et encombrant mais je le transbahute en permanence : je sais que, quelle que soit la météo annoncée (dont de toute façon je ne suis jamais au courant), si je ne l'emporte pas avec moi, il pleut. - Tiens, dans la rangée devant moi, en diagonale, une femme corrige des copies, elle vient d'écrire un "Oh !" tout rouge dans la marge... Elle a un visage sévère, aigri, mais enfin ça ne veut rien dire. Je sais que, moi, j'ai souvent l'air triste et froid, alors que je le suis très rarement, c'est juste une malencontreuse expression de visage. - J'aime bien, de manière générale, observer les gens, en toutes circonstances : regarder par les fenêtres allumées, inventorier le contenu des caddies au supermarché et en déduire un peu l'existence et la personnalité des gens qui les poussent (les étudiantes qui se nourrissent mal, les femmes entre deux âges qui s'efforcent de maigrir pour retrouver la séduction de leurs vingt printemps après deux grossesses et un divorce, les mères de famille fatiguées qui entassent des monceaux de produits qu'elles devront transporter seules jusque chez elles, les hommes qui par manque d'organisation se déplacent pour trois fois rien...), détailler l'aspect des gens dans la rue. - La prof compte les copies qui lui restent, elle fait une pause, elle doit en avoir marre de lire trente fois la même chose... Elle a accroché devant elle le sujet mais je suis un peu loin pour déchiffrer... Je vais essayer... "Argumentation" ? Est-ce bien le début de l'intitulé ? Il y a un truc encadré au milieu de la page, mais rien à faire... Ah, au-dessus de cet encadré : "Annexe 2", donc c'est un devoir qui s'appuie sur plusieurs documents... Une prof d'histoire, alors ? J'aurais dit de lettres - projection... Est-ce que l'encadré serait "Extraits du code du travail" ? Pas sûr. - Déjà trois quarts d'heure que j'écris ! Heureusement, la femme à côté de moi dort, la tête appuyée contre la vitre. De toute façon, j'écris très mal, mais je n'aurais pas pu me lancer si j'avais eu pour voisin quelqu'un d'éveillé, je déteste la pensée que quelqu'un puisse me lire... ah ! paradoxal, non ? Eh bien non, vous, je vous l'adresse, vous ne lisez pas indiscrètement par-dessus mon épaule, rien à voir... C'est l'acte d'écrire que je ne veux pas voir surpris... Pas par quelqu'un qui me voit en chair et en os... "Allons, surprenons les pensées que couche sur le papier cette petite blonde au pull rose..." Non, affreux. Je n'aime pas non plus que Compagnon soit dans la même pièce que moi quand j'écris : même s'il ne lit pas, ça me gêne, je me sens observée.

Là, je vais donc passer le week-end chez mes parents ; Compagnon, lui, part pour une semaine avec sa promo, ce qui ne nous enchante ni l'un ni l'autre. Seule pendant une semaine... C'est décidé, allez, je m'inscris à la CEV dès ce soir, tant pis pour Free qui ne me répond pas, désolée pour vous qui devrez supporter la bannière de pub, je changerai d'adresse dès que possible. Comme ça (du moins si mon site apparaît tout de suite), je prendrai un bon départ, avec une semaine pendant laquelle je devrais pouvoir écrire abondamment.

P.S. : Ça y est, je sais, j'ai vu ! C'est une prof de droit.

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