Jeudi 14 mars 2002

21h51. Il fait soudain un temps épouvantable : il pleut à torrents, le vent souffle, l'orage encercle la ville... Il peut être agréable d'être bien au chaud, confortablement installé chez soi ,quand il fait si mauvais à l'extérieur, mais je ne suis jamais très fière quand le temps est à l'orage. Là, ça va, dans un immeuble parisien je me sens à l'abri, même si je regrette amèrement d'être toute seule, mais dès que je suis dans un endroit sans paratonnerre, ou avec une cheminée (à cause du phénomène des boules de feu, dont j'ai malheureusement appris l'existence l'été dernier), j'ai vraiment peur... Digne d'un bambin de deux ans, je sais, mais je ne peux pas m'en empêcher. Tant que j'habitais chez mes parents, pas de problème, j'avais surmonté mes terreurs enfantines : ils habitent près de la mer, les orages sont rares et peu violents sur les côtes. A Paris, ça va. Mais chez les parents de Compagnon, c'est une autre histoire : ils habitent une maison non protégée dans un petit village, à un endroit où les orages se déchaînent beaucoup plus facilement. Je suis vraiment quelqu'un d'urbain, décidément.

La soeur de Compagnon est venue tout à l'heure (décidément ! je l'ai plus vue en une semaine que depuis que je connais Compagnon...), toujours pour le même problème d'inscription. Elle m'a appris que leur grand-père était hospitalisé et que les prévisions étaient très pessimistes. Je déteste ce genre de situations : je n'ai aucun don pour réconforter les gens, je ne sais jamais très bien comment réagir. Faire semblant de rien pour lui changer les idées ? Rester discrète, sobre, pour ne pas lui laisser penser que je suis indifférente ?

Pas très gai, tout ça, et pourtant je ne suis pas particulièrement démoralisée, pas du tout même, juste un peu cafardeuse, et agacée de ne pas réussir à écrire depuis quelques jours. Ça ne vient pas comme d'habitude, je n'aime pas ce que j'écris, j'hésite à le mettre en ligne, je serais très déçue de lire ce genre d'entrées chez mes diaristes préférés. Ressaisissons-nous ! Quand j'étais plus jeune, je pensais qu'il fallait être malheureuse pour écrire, mais visiblement ce n'est pas valable du tout dans le cas de ce journal. C'est au contraire quand je suis joyeuse, bien disposée, l'esprit en éveil, que je suis le plus inspirée, que j'écris le plus facilement et le mieux. Là, avec cette semaine tristounette de solitude, au lieu d'en profiter pour déverser des dizaines et des dizaines de pages roses sur Internet, je sèche lamentablement.

Hier soir, Belinde et moi sommes allées assister à une lecture de poésie à la fac (je ne suis pas très portée sur la poésie, mais je n'ai pas passé un mauvais moment ; entendre un de mes anciens profs lire un poème dans lequel figure un vers tel que "Les invités anglais vomissent dans les toilettes" ne manque pas de sel), et elle est restée dormir chez moi. C'était prévu, et j'étais affolée à cette idée : Belinde est la ménagère parfaite, qui décrète que "c'est le bordel, désolée" quand en entrant chez elle nous découvrons un fer à repasser non rangé au milieu d'une pièce par ailleurs parfaitement immaculée. En prévision de sa venue, j'avais fait une inspection générale du ménage et même changé le rideau de douche qui ne me paraissait plus de la première jeunesse. Elle n'a rien dit, évidemment, ce n'est pas du tout son genre de faire des réflexions (si, elle a tout de même demandé comment Compagnon, plutôt porté sur le rangement, pouvait supporter de vivre avec moi, qui ce matin ai couru dans tous les sens à travers l'appartement pour retrouver ma trousse, mes clefs et mes cours du jour, finalement enfouis sous des tonnes de papier dans mon bureau), mais je me sentais mal à l'aise. Elle repasse même les housses de couette. - Ce doit être difficile de vivre avec quelqu'un qui fait tout si parfaitement. Quand je sens venir la tentation de la perfection, je m'efforce de laisser couler. Car la perfection est une arme redoutable, elle permet d'accuser l'autre, drapé dans un manteau d'irréprochabilité, c'est insupportable. L'autre ne peut jamais être à la hauteur. Horrible.

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