Lundi 11 février 2002

 

J’ai été extrêmement déçue, je dois l’avouer, en découvrant l’autre jour que la Scribouilleuse comptait arrêter prochainement son journal. Je l’ai vaguement ressenti comme une trahison – s’arrêter alors qu’elle a tant de lecteurs qui attendent chaque jour la suite des événements ! s’arrêter, pourrait-on dire, sans raison visible, au faîte de sa gloire internaute ! Bon, je peux comprendre, en un sens, mais c’est aussi difficile à vivre que la fin d’une série télévisée attachante (Ally McBeal, par exemple, il paraît qu’elle touche à sa fin). On se sent dépossédé de sa chère dose de « fiction », d’histoires plutôt pour employer un terme qui s’applique aux deux cas de figure. Je ressens la même chose quand un romancier fait subir à un personnage que j’aime un destin qui me déplaît, ou quand il arrête abruptement son récit en laissant la fin dans le vague, enfin quand il me trahit de quelque façon que ce soit. – Du coup, je me demande pourquoi tous les journaux en ligne semblent destinés à s’arrêter ainsi, de façon prématurée. Que l’on arrête par manque de temps ou d’inspiration, comme on peut mettre fin à un journal papier, c’est compréhensible. Mais pourquoi semble-t-il impossible de poursuivre indéfiniment, ou du moins de longues années, un journal en ligne qui fonctionne bien, qui a rencontré son lectorat ? Il n’en est pas de même pour les journaux papier, qui peuvent accompagner une vie entière. - Je me rappelle avoir lu quelque part un paragraphe au sujet de journal tenu le plus longtemps, mais impossible de retrouver la référence, grrrr ! J’étais sûre que c’était dans Au bonheur des mots de Claude Gagnière (l’ouvrage le plus génial qui soit, d’où sortait avant que je commence mes études l’essentiel de ma culture littéraire), mais je ne remets pas la main dessus. En tout cas, si mes souvenirs sont exacts, il s’agissait du journal d’un militaire très gradé (ça ne m’étonne qu’à moitié, étant donné la discipline nécessaire pour s’astreindre à écrire régulièrement) qui devait courir sur environ soixante-dix ans, de son entrée dans l’armée (vers quinze ans, j’imagine) à sa mort. – Les écrivains fournissent suffisamment d’exemples de journaux intimes très longs, je pense à Gide ou à Green. Alors pourquoi pas sur Internet ? Les raisons de s’arrêter sont multiples, bien sûr, j’en ai cité plus haut et il y en a beaucoup d’autres, liées par exemple au problème de l’anonymat démasqué – mais pourquoi tout le monde semble-t-il s’arrêter ? Bien sûr, il est trop tôt pour généraliser, certains journaux commencent à avoir une durée de vie relativement vénérable. Mais… Je ne sais pas, peut-être les attentes créées par les lecteurs sont-elles trop lourdes à assumer. Peut-être aussi que nombre de gens qui tiennent un journal en ligne n’ont pas besoin d’écrire, ne serait-ce que parce qu’ils vont bien. C’est mon cas, j’y reviendrai dans quelques temps, pas tout de suite. – Nirvana à la radio (Ouï FM), ça me replonge dans mon année de seconde, ça m’amène presque les larmes aux yeux… - En tout cas (ah, je suis retombée dans mon péché mignon, les paragraphes interminables avec ces tirets pour séparer les idées, un truc qui vient de Flaubert, entre autres, je crois), cette recherche du journal recordman m’a amenée à chercher la définition du journal intime que donne mon Dictionnaire encyclopédique de la littérature française. Je vous en donne des extraits qui disqualifient définitivement ces pages, comme l’ensemble des journaux en ligne : « La définition de ce genre littéraire repose sur une ambiguïté : celle de la non-publication voulue par l’auteur du compte-rendu plus ou moins minutieux des événements personnels ou intimes consignés dans son journal. (…) Les Essais de Montaigne ou les Lettres de Mme de Sévigné, qui ont à voir avec le journal intime dans la mesure où l’auteur s’y dévoile intimement, sont cependant à écarter de ce genre puisqu’ils manifestent un désir de communiquer avec le monde. (…) Les pages de Gide, publiées sous cette appellation, ne peuvent appartenir à cette catégorie littéraire puisqu’elles étaient destinées à la publication, et donc viciées dans leur principe. » Viciés ! Voilà ce que sont les journaux en ligne ! Même si ça nous place dans la même catégorie que Gide, ce n’est pas une consolation… Viciés… Comme il est rigide, ce François Boddaert (l’auteur de ces lignes) ! Je préfère la souplesse de Philippe Lejeune…Cela dit, il pose un problème que je rencontre souvent, celui de la littérarité du journal. J’y reviendrai certainement… Mais pas tout de suite, il est 21h22, des mots comme « littérarité » sonnent comme des massues à cette heure avancée pour moi qui suis debout depuis six heures et demie (rien de terrible, je sais, mais enfin c’est inhabituel pour moi). – Je me disais aussi, à propos des journaux dans leur ensemble, que la CEV commençait malheureusement à être trop fournie pour que l’on s’y retrouve. Je suis des journaux que je connaissais déjà, j’en découvre peu ; au milieu d’une liste si longue, je clique un peu au hasard, et si la première chronique que je lis ne m’accroche pas… C’est dommage, je passe certainement à côté de journaux intéressants. J’imaginais réaliser un site qui offre une classification avec des critères à la fois objectifs (pays, âge…) et subjectifs. Il y a bien la rubrique « Info » sur le site de la CEV, mais elle est un peu maigre, et le moteur de recherche ne fonctionne pas toujours très bien. En théorie, les critères objectifs me paraissent opposés à ma conception du journal : pour schématiser, je ne lis pas un journal parce qu’il est rédigé par une femme seule de trente-deux ans habitant Marseille, mais parce qu’il est bien écrit, drôle et intéressant. Mais en pratique, je m’aperçois que je m’intéresse toujours au même profil de diariste : garçon ou fille, peu importe, mais proche de mon âge (disons trente ans au maximum) et habitant Paris. Je ne le fais pas exprès, ça se vérifie quasi-systématiquement. Je lis certes des journaux québécois, mais de loin en loin, je n’en suis aucun sérieusement. Je pense que c’est en partie dû à des conceptions différentes du journal selon les deux pays : les Québécois sont bien davantage, me semble-t-il (je caricature, je caricature !), dans l’analyse d’un moi en proie à certaines difficultés, les Français sont sans doute moins « intimes ». Du moins, c’est ainsi que je le perçois… - Voilà pour les critères objectifs. Quant aux critères subjectifs, ils pourraient inclure d’une part une classification du journal, forcément un peu tendancieuse (par exemple, « journal essentiellement factuel, comportant peu d’analyse » ou « analyse psychologique très poussée » ou encore « vision satirique du monde de l’entreprise », enfin une dénomination générique), d’autre part une appréciation. Non, en fait ce n’est pas une bonne idée, la dénomination suffirait, en la développant un peu. Et il faudrait ajouter un extrait du journal, d’environ une dizaine de lignes, choisi pour sa représentativité, pour qu’on se fasse d’emblée une idée (et qu’on ne rejette pas immédiatement un journal parce qu’on tombe sur une chronique un peu faible). Il faudrait ajouter un moteur de recherche. Mais, bien évidemment, je n’ai pas le temps de monter un tel site, qui demande un gros travail au départ et au moins une grande actualisation par mois. L’année prochaine, peut-être, quand j’organiserai moi-même mon temps. – Je ne vous fatigue pas trop avec cet interminable paragraphe qui compte déjà mille deux cent quarante-quatre mots ? Mais après tout, le paragraphe est une invention assez récente dans l’histoire de la littérature, il me semble que ça date du XVIIIème. Impossible de vérifier, le Dictionnaire encyclopédique sèche complètement sur la question et le Robert m’apprend seulement que le mot apparaît en 1220. Enfin, personne ne m’en voudra si je retourne un peu en arrière. – J’écris cette chronique (et j’ai recopié celle d’hier) sur mon ordinateur, alors que j’utilise d’ordinaire celui de Compagnon qui, situé dans l’autre pièce (la chambre-salon-bureau), est relié à l’ADSL, contrairement au mien qui nécessite tout un tas de branchements pour aboutir à une connexion 56 kbps. Mais il est, à part ça, satisfaisant (hormis la souris qui donne des signes de vieillissement, elle accuse ses… six ans ?), rapide, confortable. Je sens que je vais reprendre l’habitude de l’utiliser, étant donné que je ne peux pas chasser sans cesse Compagnon de son PC… Tiens ! Ô suprême satisfaction ! Mon ordinateur contient AOL Press, je vais pouvoir l’installer sur l’autre à la place du honni FrontPage !

Je voulais avant de partir recopier les paroles d’une chanson assez drôle qui passe souvent à la radio en ce moment. Il y a des inexactitudes, mais enfin l’essentiel y est : 

Plusieurs indices m’ont mis la puce à l’oreille, j’ouvre l’œil
J’vais faire une enquête pour en avoir le cœur net, ça m’inquiète
Y a des détails qui trompent pas, les draps la couette et la taie d’oreiller n’sont plus dépareillés,
A côté d’mes fringues en boule y a des vêtements pliés et repassés,
Y a des détails qui trompent pas, j’crois qu’y a une fille qu’habite chez moi !
Deux brosses à dents dans la salle de bain, du savon sans savon, et le sèche-cheveux c’est certainement pas l’mien,
Des p’tites boules bizarres pour parfumer la baignoire,
C’est un vrai cauchemar, quelqu’un a massacré tous mes amis cafards !
Dans la cuisine, des sachets de thé, de verveine, de camomille,
Un message sur le répondeur d’une mère qu’est pas la mienne,
V’là qu’elle s’en prend à ma famille,
Y a des détails qui trompent pas, quelqu’un de traître a fait la vaisselle,
Ce sont mes habitudes, mon ménage trimestriel,
J’ouvre le frigo, oh ! mais c’est de la folie, y a plein d’légumes, ah, y a même des fruits,
Y a des détails qui trompent pas, j’crois qu’y a une fille qu’habite chez moi !
Où sont mes potes qui glandaient d’vant la télé, des boîtes de pizzas, des paquets de chips éventrés,
Des mégots de cigarettes écrasés dans les assiettes,
Ma collection de New Look aux oubliettes, z’oubliettes !
Dans la table de nuit y a plus d’capotes mais d’l’aspirine,
Y a une fille qu’habite chez moi,
Y a aussi des bougies contre l’odeur de la nicotine, y a une fille qu’habite chez moi,
Y a des détails qui trompent pas !
… Y a plus le drap qu’est sur la fenêtre, qu’est-ce que c’est que ça mon Dieu, mais c’est une plante verte,
L’aspirateur est encore chaud, c’est trop je porte plainte,
Je vais l’emmener au labo pour vérifier les empreintes,
On dirait que j’suis plus célibataire, la coupable j’la tiens,
Elle est devant moi, l’étau se resserre, accrochée au téléphone, assise en tailleur,
Dans une jolie robe à fleurs, et qui me dit « Arrête ton cinéma,
Et le loyer j’le paye autant qu’toi ! »

 J’aime bien cette idée un peu surréaliste (au sens faible du mot) du garçon qui découvre peu à peu que son appartement a été envahi…

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l_egoine@yahoo.fr